dimanche 14 décembre 2008

Texte court: Service

Vendredi 11 décembre, 22h52, Hamra

Après une journée où les voitures ont rendu les rues impraticables aux piétons, aux marchands ambulants et aux voitures, il n’y a plus personne au carrefour du Service. Ou si. Un van doucement éclairé de l’intérieur et à l’intérieur, le bip incessant des phares allumés, ou d’une quelconque alerte de sécurité automobile. Je viens de me souvenir du visage de cet homme assis à la place passager ; peut-être un des vigiles de l’ancien immeuble où je travaillais.

Je prends la place du piéton qui attend le Service. Pas grand-monde de la rue à ma gauche, à peine mieux d’en face. Et puis, une voiture garée, en allumant sa petite lumière jaune, devient taxi et c’est incroyable mais c’est comme s’il avait appelé, en faisant ça et en sortant de sa place pour venir chercher ses clients, tous les autres.

Un type en énorme doudoune se poste à côté de moi. Je me tourne vers lui, un peu par principe, et beaucoup parce que je n’ai pas aimé sa présence. Il me demande dans un arabe encore plus poussif que le mien – c’est toujours très rassurant pour moi, si c’est bien ici qu’on attend le Service. Je donne le ton en lui répondant avec l’imperceptible et condescendant mouvement de tête de la femme arabe à qui un homme inconnu adresse la parole.
« Borj el-Ghazal : service ? » La voiture à peine partie, mon voisin, phD/ès-Service, se sent obligé de me dire avec son arabe de casserole – pour ne pas écrire autre chose, C’est pas la peine de lui préciser Service. Je ne sais plus très bien quel coup d’œil je lui ai lancé mais les jeux étaient faits. Ça sentait mauvais au carrefour.

Après deux Service qui m’ont fait non de la tête, m’ayant préalablement demandé si la doudoune était comprise dans mon trajet, ce qui a fait monter mon taux d’acidité, une relativement pas trop vieille Mercedes, que je classerais 4 sur 10 (10 pour une Benz neuve) et un joli sourire me font ouvrir la porte arrière. Je ricane comme un crocodile quand monsieur Je-me-prends-pour-un-autochtone, qui va dans ma direction, se voit gratifier d’un « Serviseyn » (deux tarifs).
Je n’ai plus envie de le décrire. C’était un homme frustré qui, dans son siège, n’a pas cessé de bouger, de souffler bref, de nous faire comprendre qu’il était très très malheureux et fier de l’être.

La voiture tremble d’une manière presque humaine quand le conducteur veut accélérer, alors il décélère et je regarde cette ville invraisemblable, plus éclairée que sous n’importe lequel des plus forts soleils, éclairée par quelque chose qui n’a rien à voir avec les points dans les fenêtres, des enseignes ou de l’aride éclairage national, non. Ce n’est pas ça.

La doudoune ronchon grinchonne quand le gentil sourire, décidément, me dit qu’il me déposera presque à mon port. Parce qu’il fait froid ce soir. Les chats sont là sur le paillasson de l’immeuble, très blottis. Certains s’enfuient, d’autres restent. Mes gestes sont aussi légers que possible, mais certains s’enfuient quand même, sous les bacs de fleurs. De toute manière, la porte grince et claque. J’ai l’impression de réveiller tout l’immeuble. Mais non, tout le monde dort dans cette maison uniformément chauffée où je me glisse sous ma couette après avoir envoyé Le Texto du Soir.

Je sais que j’ai rêvé d’une immense et énorme vague de la taille d’une ville. Un tout petit surfeur tombait de la crête.

Pour L

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