mercredi 3 décembre 2008

La Bouche sur l'air, nouvelle en sept épisodes et demi

LA BOUCHE SUR L’AIR

0
CRITÈRES DE CLASSEMENT DES ARTIFICES DE DIVERTISSEMENT

Classe K1
Artifices ne présentant qu'un risque minime
Agréments obligatoires
Autorisés aux mineurs

Classe K2
Artifices dont le maniement requiert quelques précautions
Interdits aux mineurs

Classe K3
Classe K4
Artifices dont l'utilisation doit se faire sous la responsabilité d'un artificier qualifié K4
Pas d'agrément pour le moment



1
Midi.
Une gentille petite armée de soldats agités par leurs angoisses, comme des poupées molles. Je connais la musique, dans ma tête qui ballotte, sur mes épaules qui résistent. Le wagon se cale contre son quai, je m’assieds sur une banquette. Les yeux ouverts, je revis l’instant d’avant qui s’ouvre devant moi, sur le linoléum sale.
Cette chambre d’hôtel, ces fleurs sur le couvre-lit rabattu, immondes et pourtant je ne vois qu’elles. Sa voix s’étire entre mes tympans, sans corps, plus de corps, plein de corps contre le mien qui se souvient quand mon dos encaisse les vibrations de la banquette rabattable.

2
Le petit petit petit bar. C’est pas possible ce qu’il est loin. Petite fiole, cou étroit comme le petit doigt. Encore une. Le métal léger se dévisse, avec un bruit de déchirure. Elle ne sait plus ce qu’elle lui a dit pour qu’il s’en aille. Si seulement il avait crié. Levé la main. Mais c’était pour la passer dans ses cheveux, geste qui arrêtait le temps. Il a fixé les fleurs du couvre-lit, si j’avais été moi-même, j’aurais contourné le lit en courant pour embrasser l’angle de son cou, sous son visage baissé. Mais j’étais tellement pleine de moi.
La porte. Non, la porte du bar. Il fait frais, dans le bar. Je trébuche dans les fleurs du tissu, je m’accroche au bras du fauteuil, ses bras qui s’ouvraient grand quand je sortais du taxi, quand j’entrais dans les cafés, quand je ratais une marche, il suffisait que je le regarde pour que le même geste se produise.
Je me rattrape mal. J’entraîne avec moi l’immense voile devant la fenêtre qui donne sur la place. Je tire de toutes mes forces et je vois les petites taches des réverbères encore allumés, le ciel bleu et orange de Paris. Et je tombe en me faisant un mal de chien là où je croyais que la douleur n’existait pas.

3
Elle regarde par la fenêtre. Toujours la fenêtre, trou béant sur le ciel, si le ciel de Paris en est encore un. Blanc sale, blanc mauvais, blanc couvercle. Elle répond au téléphone, nettoie pour la troisième fois de la matinée la table avec de l’alcool sur un kleenex. La fenêtre, toujours la fenêtre. Traverser la ville à vélo vers l’ouest, vers les gros immeubles ventrus, pleins de pampilles pierreuses sur l’estomac, vers la tour en lisière du Bois. L’ascenseur de verre la tire par les cheveux. Une sensation d’enfance qui l’installe un peu plus calme derrière son bureau.
Vélo, tour, téléphone et allez, tour, vélo, petit appartement dans une rue menue où l’épicier veut toujours la rattraper pour lui offrir une orange, des gants de vaisselle mais elle dit non de la tête, un pied sur la pédale, un pied sur les pavés glissants devenus, à force de chutes, plus dociles. Petit épicier, escalier, elle balance ses chaussures à talons contre la plinthe, se déshabille en avançant vers la salle de bains.
Magnétoscope.
Toilette rapide, grappillage de moineau dans le frigo, machine 1, machine 2. Elle a les cheveux mouillés, elle s’en fout d’ailleurs parce qu’il a commencé à parler, l’artificier. En anglais, un peu vite, un peu trop bien pour elle.

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