vendredi 15 janvier 2010

105

Cargo

Trois semaines en cargo pour aller en Amérique du Sud. Quatre cabines. Avec lui, un couple de retraités allemands. L’homme est ingénieur, ils comprennent tous les trois très vite qu’ils n’auront rien à se dire pendant le voyage. Les dîners se prennent dans le silence le plus total, et dormir à neuf heures, c’est déjà tard.
Il m’a parlé des dangers, de meurtres, je crois.
La bibliothèque du cargo : une rangée de livres à l’eau de rose en danois.
Il n’y a rien à faire, donc. Surtout quand, comme lui, on voyage le plus léger possible. Les hublots sont à trois mètres au dessus du regard.
Pour un voyage comme ça, il faut plutôt être un contemplatif.
Malgré tout, après dix jours dans l’Atlantique, où il n’y a rien, voir la terre, ça fait quelque chose. Tu te sens appartenir à ce ne sont pas ces mots qu’il a dits, mais je me souviens de ce que j’ai senti à travers lui.
Interdit de prendre des photos. Encore plus pendant le chargement des cales, douze à treize mètres de profondeur. Pas très loin des côtes colombiennes, des plongeurs vérifient que la coque, sous l’eau, ne cache pas de la drogue. Et le mouvement des petites barques qui chargent les bananes commence. Pendant vingt-quatre heures, des négriers, Y’a pas d’autre mot, abîmés à la coke, chargent, repartent, reviennent, chargent. Le quai est ponctué de militaires tous les trois mètres, armes prêtes.
Il décide de les prendre en photo au fond de la cale. Son appareil sous sa chemise, il choisit le moment où la vigilance se relâche, au milieu de l’épuisement général. Je faisais le touriste qui n’a rien compris, tu vois. Il commence à descendre l’échelle dans le très étroit boyau qui mène au fond. Le soldat qui l’aperçoit s’emberlificote dans sa mitraillette à l’entrée du conduit de descente.
Je savais que je n’avais que très peu de temps. Trente-six poses. Noir et blanc. Ils m’ont accueilli, très heureux, pensant que je voulais consommer leur came. Quand ils m’ont tout proposé et que je refusais, quand ils ont compris que je voulais juste les photographier, ils ont été un peu déçus, mais ils se sont laissés faire.
En remontant, je me suis fait engueuler, j’ai fait celui qui ne savait pas qu’on ne pouvait pas descendre.
Ils n’ont pas vu l’appareil. J’ai eu une dizaine de bonnes photos.

****

Transsibérien

Ça fait peut-être dix fois que je vais en Chine. En train depuis Moscou. Le Transsibérien est un train neuf. En seconde classe, tu es quatre par compartiment, sans salle de bains. En première, c’est la même chose, mais avec la salle de bains pour quatre. Tu finis par réserver le compartiment pour toi tout seul, en première, pour ne pas avoir une présence inconnue qui serait trop longue.
Mais au bout de trois-quatre jours, les discussions commencent dans les couloirs, parce que les affinités entre les gens se placent toutes seules. Mais en même temps, tu ne sors pas trop souvent de ton compartiment parce qu’il vaut mieux garder un œil sur les bagages.
Le wagon-restaurant est tenu par le pays que tu traverses. Un changement de frontière, un changement de wagon. Les Chinois, c’est pas mal mais les Russes, c’est quelque chose. Du formica d’ex-pays communiste sur lequel il n’y a rien, c’est simple, rien. Quand tu demandes un thé, on te balance le sachet dans la tasse et on te tend le tout avec un pouce bien plongé dans l’eau, tu vois.
Mais ce qu’il y a de bien, ce sont les babouchkas.
Elles sont là à n’importe quelle heure, sur le quai, à t’attendre. Il suffit que tu te penches à la fenêtre. Elles sont là, avec leur bouffe fraîche du jour, planquée dans dix sacs en plastique un peu dégueu, mais en fait, tout au fond, elle est enveloppée dans du linge. Après plusieurs heures, c’est encore chaud.
Pendant un voyage, les babouchkas n’attendaient plus sous les fenêtres, c’était aux voyageurs de descendre sur le quai et de les rejoindre à un kiosque où les Russes les avaient installées. Le voyage d’après, elles étaient de nouveau à leur poste. C’est plus pratique.
C’est impressionnant, la différence de population entre les Russes et les Chinois ; les Russes, d’ici 2050, vont perdre le tiers de leur population. Alors que leurs voisins… Tu vois le phénomène dans les gares, quand ils rentrent en flot continu dans le train. Plus personne ne veut vivre en Russie. C’est très intéressant, la Russie et la Chine.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

tu veut bien m'epouser?