jeudi 25 juin 2009

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Je ne me souviens pas des livres que je lis, puis que j’ai lus. En fait, en arrivant à la dixième page avant la fin de De la boxe, je pense déjà au prochain livre. Je le connais, même si souvent je change d’avis à la dernière minute, celle qui ouvre le livre sur la première page, la première phrase, happée comme quelque chose de sucré que l’intérieur de ma bouche a longtemps attendu. Comme un manque qui se calme.

Des années entières, j’ai acheté des livres comme d’autres achètent des briques pour se faire une enceinte autour de leur maison. Ici, la maison c’était moi. Je construisais des murs entre la réalité – « Tu ne vas pas me faire croire que tu vas tous les lire ! Va étudier maintenant », disait la voix sans chair –, et ma réalité. Je sais aujourd’hui que cette réalité que je bichonnais comme un chef-d’œuvre m’a poussé droit vers mes élans de suicide.

Je n’ai rien fait croire, j’ai été adorablement docile à la voix aux talons qui font sursauter le faux parquet. Good for nothing, écrit sur une trousse de lycée. Et mes livres qui m’attendaient.

Il y a quelques mois, je suis revenue dans la chambre-bibliothèque que j’occupais à Paris jusqu’à l’université. Le poids des livres et les déplacements en avion donnent une équation perverse, celle du tri. J’ai donc trié ceux qui partaient avec moi et ceux qui attendraient un autre voyage, d’autres voyageurs.

Je viens d’achever une série de gestes qui met un point final à l’acte initial des livres-briques. À la juste hauteur de mes yeux, treize tranches, enfin visibles, un peu jaunies que le cœur s’en serre après tout ce foutu temps, achetées avec la passion de 1991, 1987 peut-être. L’année de la fin de la guerre civile, Cyrille m’avait appris à écrire mon nom comme les taggeurs du métro. Bains de mer, qui m’attend dans quelques minutes, est signé avec des lettres qui ressemblent toutes à des triangles.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

tes mots, ma chère D. ont un goût sucré-salé, amer ou nostalgique, quelque fois acide, violent, un goût particulier qui ne s'oublie pas.

C.